Elisabeth Azoulay : « Derrière la beauté il y a toujours deux idées : la séduction et la reproduction »
Qu’est-ce que la beauté ? Charme, éclat, esthétique, grâce, harmonie, magnificence ? L’anthropologue Elisabeth Azoulay – qui a produit avec 300 chercheurs de 35 nations « 100.000 ans de beauté » chez Gallimard – s’est confiée sur le sujet au micro d’Isabelle Morizet sur Europe 1. Extraits choisis.
Le corps est le premier medium culturel de l’Homme
L’humain ne s’est jamais contenté de son corps biologique parce que c’est un être social. Il n’y a pas tellement de Robinson Crusoé dans l’humanité. Il y a toujours des êtres humains qui vivent avec d’autres êtres humains. Pour fabriquer ce subtil tissage du lien social, le fait d’être d’accord sur ce que doit être l’apparence physique est un élément-clé. Cela fait société, cela fait culture. Le corps est le premier medium culturel de l’Homme. Sur son corps il a inscrit ses premières idées, ses premières projections sur ce qu’il devait être et devait être la société. Tous les scenarios de séduction ne sont pas inscrits dans les gènes. Ils doivent être élaborés. La beauté, c’est un peu comme un langage. Tout le monde peut s’exprimer par la parole mais on parle des langues différentes. Pour la beauté, c’est pareil. C’est une expression. Ce qui prime, c’est le sens, ce qu’on cherche à transmettre au travers du geste de beauté dans un rituel. Quand il faut avoir de petits pieds pour faire partie de l’élite, même si cela vous empêche de marcher, et bien on veut ces petits pieds. Car ça veut dire qu’on n’a pas à employer ses pieds dans les champs de culture ou ailleurs. Même s’il fait souffrir, ce signe est voulu par les mères pour leurs enfants quand il associe à une classe sociale. Il y a beaucoup de gestes comme ça. Dans la beauté, la modernité, il y a beaucoup de gestes qu’on s’inflige à soi-même. Dans l’histoire il y a beaucoup de gestes décidés par les autres pour vous. On peut aller jusqu’à déformer le squelette. L’humanité ne recule devant aucun sacrifice. […] La parure est comme un langage muet. Elle peut exprimer qu’on est marié(e) par exemple. Il y a des tas de sociétés où on ne peut faire certains gestes de beauté qu’une fois mariée, pour une femme. Il y a des gestes qui définissent des âges, des moments de la vie. Il y a des gestes qui définissent le milieu social auquel on appartient. Le fait de porter une perruque, de se maquiller de telle manière, etc. Et c’était réprimé quand on avait pas le droit de s’habiller de telle manière. C’était considéré comme une sorte d’imposture.
Une mise en valeur de la femme jeune et féconde
Pour le mot beauté, dans toutes les langues il peut y avoir plusieurs mots. Quand on parle à des Indiens ou des Chinois de la beauté, on s’aperçoit que dans leur vocabulaire, on trouve des notions qui ressemblent plus au bien-être, plus à la grâce, plus à la perfection anatomique. Il y a plusieurs mots. Ce que je crois, c’est que quand on parle de cette affaire de la beauté, on s’est employé à ce qu’une population bien particulière, la femme jeune et féconde, soit mise en valeur. Parce que derrière la beauté il y a toujours deux idées : la séduction et la reproduction. Il y a un trait commun à toutes les sociétés : un coup de lumière braqué sur cette population de la jeune femme féconde. Elle est censée être l’âge le plus désirable et le genre le plus désirable. Chaque société a ses codes. Mais être beau, en général c’est faire partie de l’élite. Chaque société a ses codes. Mais l’élite parvient toujours à faire passer ses critères et privilèges comme des canons de beauté.
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